1. Comment est né le projet de Comme un oiseau dans les nuages ? Comment avez- vous travaillé ?
Je me suis toujours interrogée sur mes origines, car je ne savais rien — ou presque — de ma famille ; mes parents ont quitté Taïwan et nous étions seuls en France. Ça a certainement aussi forgé mon imaginaire: tout pouvait être possible! Alors, j’ai tiré les quelques fils de mon histoire familiale pour recréer un arbre généalogique fictif et écrire les portraits de ses personnages. Ainsi sont nées l’héroïne, Anna-Mei, sa grand-mère, Ama, Zhou, Li, Mei et les autres.
L’écriture de ce roman a été un travail de longue haleine, qui m’a fait plonger dans l’histoire de la Chine et de Taïwan. Outre l’aspect historique, je me suis beaucoup documentée aussi sur d’autres sujets qu’aborde le roman, comme celui de la médecine traditionnelle chinoise. J’ai écrit et réécrit avant de trouver la forme définitive du roman, celle du dialogue entre la grand-mère et l’héroïne.

2. Parlez-nous d’Anna-Mei : qui est-elle et qui aimerait-elle être ?
Anna-Mei est une jeune fille studieuse, douée pour la musique et entourée par sa famille et ses amis: elle prépare un important concours de piano, vit sa première histoire d’amour avec Simon, a pour confidente sa meilleure amie, Mathilde. Du fait du décès de sa mère alors qu’elle n’était encore qu’un bébé, elle est d’autant plus choyée par son père et sa grand- mère maternelle dont elle est très proche. Pourtant, Anna-Mei est aussi une héroïne aux contours flous, qui ne sait comment se définir en dehors de la musique. Lorsque s’amoncellent les premières incertitudes, les déconvenues, l’échec, tout bascule. Elle découvre alors qu’elle porte le poids d’une douloureuse histoire familiale et qu’on lui cache bien des choses, notamment sur sa mère…

3. La grand-mère maternelle d’Anna-Mei va lui raconter l’histoire des femmes dont elles sont les descendantes. Qu’est-ce qui caractérise cette famille ? Pourquoi parle- t-elle de « malédiction » ?
Les femmes de la famille d’Anna-Mei ont été confrontées à beaucoup de souffrance — séparation, disparition, maladie... Beaucoup d’entre elles ont, comme Anna-Mei, très tôt perdu leur mère, ou ont été éloignées d’elle, la transmission mère/fille n’a pas pu avoir lieu, à tel point que la grand-mère parle de « malédiction », parce qu’elle n’arrive pas à expliquer comment ce schéma peut se reproduire de génération en génération. Le contexte historique a bien sûr joué un rôle majeur dans ces destinées tragiques : ces femmes ont vécu à des moments très sombres de l’histoire de la Chine ou de Taïwan, comme le conflit sino-japonais, la Grande Famine, la Révolution culturelle sous Mao, ou encore la dictature à Taïwan… autant de périodes qu’on connaît assez mal en France et qui sont pour certaines si inconcevables, si violentes et si révoltantes qu’on peut se demander comment s’en sortir indemne… La folie de mes personnages fait écho à celle du pouvoir et de la politique durant ces périodes noires de l’histoire de la Chine et de Taïwan.

4. En quoi ces récits du passé vont-ils permettre à votre héroïne de se raccrocher à la vie ? Pourquoi la parole est-elle nécessaire ?
Je crois que lorsqu’on est adolescent, il est important de savoir d’où l’on vient pour se construire, pour passer à l’âge adulte. Car comment se construire sans fondations ? Le lien qui se noue entre Anna-Mei et sa grand- mère va être primordial et se jouer dans la parole : Anna-Mei revient sur ses déceptions et ses échecs, sa grand-mère retrace pour elle l’histoire familiale. Ses récits seront les pierres qui permettront à l’héroïne de se construire solidement, d’accepter ses origines et de découvrir une vérité jusqu’alors cachée sur la mort de sa mère.
Pendant mes recherches, j’ai été interpellée par le fait que certains traumatismes vécus par un membre d’une famille pouvaient se transmettre aux générations suivantes de façon étrange: dans le roman, cela se traduit par la douleur au pied que ressent Anna-Mei ; rien ne l’explique physiquement, mais quand elle fait le lien entre cette douleur et les pieds bandés de son aïeule, la douleur s’estompe. Pour un auteur, cela représente un matériau d’écriture passionnant !
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